Vous le savez aussi bien que moi…
Nous manquons de temps.
Je me vois donc contraint de passer rapidement sur certains points qui, bien que fondamentaux dans notre compréhension des dynamiques inhérentes à la Genèse de ce balbutiant univers, n’en demeurent pas moins d’une importance plus que relative au vu de l’objectif que vous… que nous poursuivons.
Je vois à vos mines contrites que vous désapprouvez ce choix qui est le mien.
Je sais que vous auriez bien aimé Tout savoir.
Je sais que vous vous dites intérieurement que je n’ai pas le droit de vous faire « Ça ».
Et bien si. J’en ai parfaitement le droit. C’est ça, le privilège d’être le Narrateur. Je peux faire absolument tout ce que je veux. Et vous êtes obligés de subir mes choix. Car telle est la logique qui régit nos relations. Car telle est la dure réalité du monde. Vous êtes à ma merci, que cela vous plaise ou non.
Intéressant…
Reprenons notre créature.
Puisque nous devons nous plier aux règles, amenons-la directement à l’endroit qui est censé être le plus intéressant. Je vous parlerai aujourd’hui de la Beauté. Non, je ne vous parlerai pas du sublime désert rougeâtre qui recouvre la quatrième planète. Non, je ne vous parlerai pas non plus des aurores boréales. Notre créature, après maintes péripéties, se retrouve sur la troisième planète, qui a priori, n’est pas plus intéressante, ni moins inintéressante que n’importe laquelle de ses consœurs. Mais faisons comme si c’était le cas. Extasions-nous un instant devant la supériorité indéniable de notre monde sur le reste de l’univers. Extasions-nous. Je vous vois venir. Je vois à vos mines réjouies que vous pensez avoir compris où je souhaitais en venir. Vous pensez avoir trouvé… Vous pensez avoir trouvé ce qu’est la Beauté.
DETROMPEZ-VOUS !
Vous en êtes à des années lumières.
Jamais la Vie ne pourrait être similaire à la Beauté.
Elle n’existait vraisemblablement pas lorsque notre créature posa sa conscience en ce monde.
Le fait que la planète possédait une atmosphère ne la perturba pas plus que ça. Elle connaissait déjà le gaz. Non… Ce qui la surprit le plus, c’était l’eau. Plus elle la regardait, et moins elle comprenait. Notre créature avait créé la matière. Elle avait conçu un univers. Mais l’eau… L’eau la dépassait complètement. Elle n’arrivait pas à comprendre comment la matière, à savoir des petites billes que l’on nomme habituellement atomes, et qu’elle avait elle-même conçues, rappelons-le, pour ceux qui n’auraient pas tout suivi… comment ces petites billes de matière, solides, par définition, pouvaient générer quelque chose de… mouillé ?
Elle observa l’eau très longuement.
L’agitation des atomes proportionnelle à l’élévation de la température.
Le Cycle.
Evaporation.
Condensation.
Sublimation.
Liquéfaction.
Congélation…
Non. Vous n’y êtes toujours pas.
La Beauté, ce n’est pas l’infinie variation des formes des cristaux de glace. Ce n’est pas la mer. Encore moins un coucher de soleil. Des vagues ? Pourquoi pas. Mais non. Il ne s’agit pas de ça non plus.
Encore un peu de patience, nous allons y arriver…
En suivant le parcourt de l’eau, en explorant le monde, elle découvrit, par le plus grand des hasards sans doute, la fabuleuse puissance de l’activité sismique. Et, par la même occasion, les couches géologiques. En les voyant ainsi, superposées les unes aux autres, son esprit analytique ne put s’empêcher de chercher des réponses aux nombreuses questions qui l’assaillaient. Comment expliquer les changements de couleur, de texture, les variations chimiques qui existaient entre elles ? Alors elle s’arrêta. Elle s’assit par terre, et elle regarda l'amoncellement de couches rocheuses qui lui faisait face.
Elle essayait de reconstruire mentalement l’histoire de ce monde, en regardant les couches. Elle analysa une à une les strates qui s’offraient à elle.
Et là…depuis la place qui semblait désormais être la sienne…
Elle vit le Beau…
C’était un matin. Ou un soir.
Peu importe.
Le ciel était sombre.
Les nuages s’étaient amassés au dessus de sa tête.
Elle connaissait ce phénomène, et ne lui prêtait plus la moindre attention.
Jusqu’à ce que l’Orage éclate.
Que la pluie tombe.
Que le tonnerre gronde.
Que les éclairs zèbrent le ciel.
Elle se leva soudain, et, levant les bras au ciel, elle hurla sa joie devant les cieux déchaînés.
Elle aimait ce spectacle qui s’offrait à ses yeux. Elle aimait ce déluge de furie.
Eût-elle été un homme, elle aurait sans doute cru que quelqu’un, ou quelque chose, là haut, se déchainait. Elle eût pu se demander s’il existait un Dieu quelconque qui aurait pu être contrarié, pour provoquer de tels évènements. Mais elle savait bien qu’il n’en était rien.
Elle savait bien qu’elle était seule.
Désespérément seule.
Une fois l’orage passé, elle baissa les bras, regarda un instant ce ciel à présent désespérément vide de folie, puis elle retourna à l’observation de ses strates géologiques.
C’est alors qu’elle comprit l’essence du Beau.
La Destruction.
Pas l’une de ces destructions violentes qu’elle avait déjà eu l’occasion de voir.
Pas l’explosion d’une étoile.
Pas la collision de deux lunes.
Pas un séisme.
Pas un éclair qui vient pulvériser un rocher.
Non…
Rien de tout cela ne méritait le titre de Beau.
En voyant ses strates mouillées…
En voyant le ruissellement de l’eau sur le sol, et les sillons qu’elle y creusait…
En voyant tout ceci, elle découvrit le phénomène qui allait sans aucun doute la fasciner le plus : l’Erosion.
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