Erosion.
Sédimentation.
Diagénèse.
…
Erosion à nouveau.
L’interminable spirale, qui ne cessera que lorsque la planète cessera toute activité.
L’interminable spirale, qui ne cessera que lorsque cessera la tectonique des plaques.
La créature a suivi les petits morceaux de roche que l’Erosion avait délicatement arrachés aux strates sédimentaires. Elle les a suivis jusqu’au bout de leur parcours. Elle les regarde à présent tournoyer lentement dans la mer, tombant, et tombant encore, inexorablement emportés par la pesanteur. Elle les regarde s’entasser. S’entasser encore. Jusqu’à ce que le poids cumulé de toutes ces minuscules particules soit tel que l’eau quitte complètement la partie inférieure de l’édifice de calcaire qui est en train de se bâtir. Jusqu’à ce que les sédiments, écrasés par le poids de leurs semblables, redeviennent un bloc de roche.
Elle ne suit pas ce bloc de roche.
Elle sait très bien où il va.
Elle sait bien qu’à un moment donné, il va remonter à la surface.
Qu’il sera à nouveau érodé.
Qu’il retombera en miettes…
Et que ces miettes se retrouveront ici, au fond de la mer, ou au fond d’un lac, et qu’elles s’entasseront à nouveau, jusqu’à reformer un nouveau bloc sédimentaire.
…
Le temps passe.
Lentement.
…
Un jour, elle aperçoit un sédiment d’une nouvelle nature.
Il a une nouvelle forme.
Il semble… fini...
Sa composition est extrêmement perturbante.
Jamais, jusqu’alors, elle n’avait rencontré pareille structure.
Elle regarde ce sédiment d’un nouveau type, l’analyse tant qu’elle le peut, mais quelque chose lui échappe. Elle le voit s’enfoncer lentement dans la couche sédimentaire, puis se fondre dans la masse.
Elle le voit devenir à son tour une partie de la masse calcaire.
Des dizaines, des centaines, des milliers, des millions d’autres sédiments de ce type viendront le rejoindre. Et des millions de sédiments lui ressemblant de près ou de loin aussi.
Plus le temps passe, et plus la structure de ces nouveaux sédiments change. Elle se complexifie sans cesse. Des appendices commencent à faire leur apparition, sans que la créature ne puisse parvenir à déterminer leur usage, pour la simple et bonne raison qu’elle n’utilise toujours pas, à proprement parler, la fonction locomotion.
…
Elle prit l’habitude de recevoir régulièrement de nouveaux spécimens de sédiments.
Jusqu’au jour où elle tomba sur une chose de forme cylindrique, dont la structure moléculaire n’était pas sans rappeler celle du fer. Mais elle comportait quelques différences, notamment, au niveau de la teneur en carbone. Malgré les déformations liées à la pression que l’eau avait exercée sur la chose, elle parvint à déterminer qu’à la base, ce cylindre devait être creux, et que l’une de ses bases circulaires avait été pratiquement détachée du tronc avant d’entrer dans les profondeurs abyssales de l’océan. Elle comportait d’étranges crénelages, qui semblaient, d’après les études qu’elle avait menées sur la structure atomique de l’objet, être la conséquence d’une forte pression exercée sur la « chose » par « quelque chose » dont la résistance devait être bien supérieure à celle de l’acier qui composait le cylindre… Ce qu’elle ne s’expliquait pas, c’était la localisation très précise de l’exercice de cette force : elle ne touchait que l’une des bases, et toujours à intervalle régulier…
Le fait que ce cylindre soit totalement vide la perturba. Elle avait l’habitude, maintenant, de voir des sédiments emplis de canaux, d’orifices, devant servir à transporter des fluides, ou des substances plus ou moins variées. Elle avait l’habitude de voir une structure cellulaire sur ces étranges sédiments. Mais jamais elle n’avait vu une chose semblable à ce cylindre.
La chose métallique s’enfonça à son tour dans la masse sédimentaire, provoquant par la même occasion un petit nuage de poussière.
Jamais elle ne deviendrait roche.
D’autres choses, toutes plus étranges les unes que les autres, finirent par la rejoindre.
Un jour, elle décida d’aller chercher des réponses à ses questions.
Elle remonta à la surface.
Elle vit la Vie.
Les coquilles et les carapaces vides qu’elle avait l’habitude de voir se fossiliser évoluaient devant ses yeux.
…
Elle continua son chemin. Arriva enfin à la surface.
Découvrit la végétation luxuriante qui avait envahi le monde.
La notion de chaîne alimentaire…
Les phytophages…
Les zoophages…
Elle comprit sa différence.
Elle, elle ne mangeait pas.
Elle, elle n’avait toujours pas de corps.
Elle, elle n’avait pas de quoi se déplacer.
Elle, elle n’avait pas de quoi penser.
Cogito ergo sum…
Une créature qui n’est pas dotée d'organe permettant de générer des pensées peut-elle « être »… ?
Elle s’interrogea longuement sur sa condition.
Elle se tourna à nouveau vers ce concept qu’elle avait créé et qu’elle nommait Dieu.
Elle ne comprenait toujours pas quelle était…. quelle devait être… quelle pouvait être sa place dans ce monde.
Elle se sentait exclue de ce monde dont elle était la principale créatrice.
Elle se sentait exclue de ce monde qui se passait fort bien d’Elle pour faire sa vie.
Lors de ses pérégrinations à la surface de ce nouveau monde plein de frustrations, elle finit par découvrir la source des objets étranges qu’elle avait découverts.
La seule espèce vivante capable de détruire sciemment son écosystème…
Nous…
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