Infini.
Une échelle.
Immense.
Une étoile qui luit dans le ciel.
Un patin de tissu qui grimpe, grimpe, grimpe encore.
A en user ses mains et ses pieds de toile grossière.
A s’en faire céder les coutures.
La peinture dégouline de son visage.
On aurait pu croire que c’est parce qu’il a pleuré, mais c’est faux.
Ceux-qui-savent savent que là n’est pas la Vérité.
La Pluie seule est à blâmer.
Pourquoi cette montée effrénée ?
Vertigineuse ?
Pourquoi se relever à chaque chute ?
Pourquoi s’acharner à vouloir monter encore et encore ?
Pourquoi tout ce cirque ?
Qu’a-t-il vu qui vaille tant ?
…
La Lune.
Pointue.
Piquante.
Tranchante comme une lame.
Notre patin la dépasse sans lui adresser le moindre regard.
Insignifiante.
Seule l’Etoile compte.
Espoir dérisoire de pouvoir un jour l’atteindre.
…
Encore une fois, il tombe.
Comme s’il ne pesait rien.
Comme un vulgaire fétu de paille.
Sans force.
Il tombe avec toute l’énergie du Renoncement.
Encore…
Encore une fois…
Ces fils de malheur m’empêchent d’aller plus haut…
Alors qu’il choit sur le sol, il regarde la croix de bois à laquelle il est rattaché.
Il ne rebondit pas.
Il est trop mou pour ça.
Son visage de bois se craquèle encore un peu plus.
S’il avait été de porcelaine, ça fait longtemps qu’il aurait été pulvérisé en milliers de bouts d’espoirs déçus.
Une ombre s’approche de lui d’un pas nonchalant.
Elle s’assoit à ses côtés.
« Tes mains sont toutes trouées »
« C’est parce qu’elles s’usent sur les barreaux de bois de l’échelle. »
« Ça te fait mal ? »
« Non. »
« Et de tomber tout le temps ? »
« Non plus. »
« Pourquoi tu tombes, alors ? »
« … A cause des fils. »
« Ha… Il t’en faudrait des plus longs, alors. »
« Il faudrait qu’ils soient infinis. Ou qu’ils ne soient pas. »
« Sans fils, tu ne vaux guère mieux qu’une poupée. »
« Avec mes fils, je ne vaux pas mieux qu’un papillon attaché à sa bougie. »
Il est dit que chacun doit porter sa croix.
Alors le pantin tente de porter la sienne.
Sans succès.
Elle est trop lourde.
La peinture coule à nouveau.
Mais ce n’est plus la pluie que l’on blâmera pour cela.
Le pantin essuie ses yeux d’un revers de manche.
Il sent l’usure prononcée du tissu de sa manche racler douloureusement son visage brisé.
Sa manche s’illumine d’une incommensurable variété de couleurs.
Le visage de bois semble s’éteindre encore un peu plus.
…
Une nouvelle fois, monter un à un les barreaux de l’échelle.
Mettre une main devant l’autre.
Lever la jambe.
La reposer.
Et recommencer le tout autant de fois que nécessaire.
Passer la lune.
Regarder l’étoile.
Si lointaine.
Si inatteignable.
Et sauter dans le vide.
Fermer les yeux.
Tendre les bras.
Prier pour avoir réussi son coup.
Prier pour que ce soient…
Raté…
La jambe…
Pluie de coton.
Comme s’il neigeait.
C’est beau.
Ça rend presque lourde la chute du pantin, en comparaison.
La descente semble plus longue que la montée.
…
« Il te manque une jambe. »
« C’est à cause de la lune. »
« Pourquoi elle te l’a coupée ? »
« Parce que je n’ai pas sauté assez loin. C’est mes fils qu’elle aurait dû couper. »
« Alors ce n’est pas à cause de la Lune, c’est à cause de toi s’il te manque une jambe. C’est toi qui n’as pas sauté assez loin. La Lune ne t’a rien fait. La Lune est gentille. »
« Je vais devoir recommencer. »
« Sans ta jambe ? »
« Sans ma jambe. »
« Pourquoi tu montes ? »
« Pour voir. »
« Pour voir quoi ? »
« Pour voir ce qui doit être vu. »
…
Remonter.
Toujours plus haut.
A la seule force des bras.
La jambe ne permet que de se reposer de temps en temps.
Prendre encore plus d’élan.
Une jambe en moins, ça fait moins de force pour sauter.
Tout le monde sait ça.
Vous n’avez qu’à essayer, si vous ne me croyez pas.
Vous verrez bien.
Jauger la distance.
Estimer la trajectoire.
S’éponger le front.
Enlever encore une couche de peinture.
Bien fléchir sur la jambe.
Se concentrer pour que cesse le tremblement de peur qui la gagne, et qui envahit tout le corps.
Ouvrir grand les yeux, cette fois.
Et faire le grand saut.
Prier.
Prier pour être enfin libéré du poids de sa croix.
Hurler.
Hurler pour se libérer de la terreur qui habite la tête de bois, qui semble peser une tonne.
Comme si chacune des pensées qui l’habitaient prenait soudain consistance.
Comme si elles avaient subitement un poids.
Faire le vide en soi.
Redevenir aussi léger que le Temps.
Frôler la lame meurtrière.
Se retourner pour voir si les fils sont passés.
S’ils vont enfin être coupés.
Chercher de l’air dans les poumons de coton qui remplissent le ventre mou du bonhomme de tissu.
Fendre un peu plus le masque de bois.
Ouvrir la bouche.
«LIIIIIIIIIIIBBBBBBBBBBBBBRRRRRRRRRREEEEEEEEEEEE !!!!! »
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